Blasphème, liberté d'expression et atteinte au sentiment religieux


Written the Thursday, January 22nd 2015 à 10:51 AM
François Jacquot



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Analyse de Maitre François Jacquot, avocat au Barreau de Paris


Après les évènements terroristes récents, le débat médiatique s'est orienté vers la protection de la liberté d’expression et l'on a entendu certains répéter que le délit de blasphème n’existait pas en droit français. La liberté d'expression a pu alors apparaître comme une sorte de valeur absolue qui serait la marque de fabrique de la société française.

Or, cela est à la fois inexact et quelque peu tendancieux. Inexact car, même si ce texte est tombé en désuétude, l'Alsace Moselle reste soumise au code pénal de 1871 hérité du droit allemand durant la période d'occupation. En effet, sur ces territoires français où existe encore une distinction entre cultes reconnus et cultes non reconnus, le code pénal de 1871 réprime toujours le blasphème et le Conseil Constitutionnel a récemment décidé que le statut particulier des cultes en Alsace Moselle était conforme à la constitution française.

En 2013, Charlie Hebdo avait d'ailleurs été assigné par la ligue de défense des musulmans sur le fondement du délit de propos blasphématoires alors que cet article du code pénal de 1871 n'avait plus été pratiqué depuis 1918. Le 10 juillet 2013, un numéro de Charlie Hebdo avait en effet titré : "Le Coran c'est de la merde, ça n'arrête pas les balles". L'assignation a été déclarée nulle et personne ne saura jamais quelle décision aurait prise le tribunal saisi dans une affaire aussi inédite.

Néanmoins, ces propos sur le Coran nous permettent de rappeler que si le droit positif français (hors Alsace Moselle) ne réprime pas littéralement le délit de blasphème (1), il protège néanmoins le sentiment religieux, d'une part à travers les dispositions de la loi de 1881 sur la presse et, d'autre part, par l'intermédiaire de la pratique décisionnelle de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après la Cour) qui s'évertue à concilier l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après la Convention) protégeant la liberté de pensée et de religion et l'article 10 garantissant la liberté d’expression.

Nul besoin de rappeler que les principes dégagés par la Cour s'imposent aux juridictions françaises qui doivent en faire application, même si elles jouissent, pour ce faire, d'une large marge d'appréciation permettant de préserver les traditions françaises de laïcité.

Par ailleurs, aux termes de la Constitution française "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances" et que l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 proclame que la "République assure la liberté de conscience".

Comme le soulignent certains auteurs, "respecter ce n'est pas seulement tolérer ou reconnaître, c'est manifester une certaine considération. Cette conception correspond alors à celle qu'avaient les constituants de 1946 (comme André Philip ou Maurice Schumann) qui militaient en faveur d'une république respectant toutes les croyances et les libertés fondamentales" (2).

Cette neutralité positive de l'Etat envers le fait religieux s'inscrit clairement dans la tradition de la loi de 1905, que le rapporteur, M. Aristide Briand, commentait en relevant qu'"il fallait une loi qui se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s'exprimer librement". (3)

Surtout, la jurisprudence de la Cour européenne oblige les Etats non seulement à respecter les croyances par l'imposition d'un devoir de neutralité et d'impartialité (4), mais également à faire preuve de tolérance (5). Bien mieux, dans certains cas, la Cour a institué une obligation positive de protection de la liberté de religion (6).

Enfin, il y a deux aspects dans la liberté de religion. Celui qui relève d'abord du for intérieur, soit la liberté de conscience, et celui qui concerne le fait de "manifester sa religion", c'est-à-dire la liberté de religion proprement dite.

L'offense au sentiment religieux relève clairement de la liberté de conscience dont la protection est plus forte que celle de la liberté de religion dans la mesure où l'article 9§2 de la Convention européen n'y apporte aucune limite. 

Si le délit de blasphème est fort heureusement banni du droit français, tant le droit interne que le droit international protègent le sentiment religieux lorsqu'il est mis en cause par les médias. L'atteinte au sentiment religieux est susceptible de diverses sanctions. Ainsi, le CSA peut retirer ou suspendre une autorisation d'exploitation d'un service de communication de l'audiovisuel, le conseil constitutionnel lui ayant reconnu ce droit (7).

Les tribunaux statuant en référé sur le fondement de l'article 809 du code de procédure civile peuvent être amenés à rechercher si des publications ou affichages sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite. A ce titre, elles censurent "l'outrage flagrant au sentiment religieux" (8).

Mais c'est avant tout à travers les dispositions de la loi de 1881, en particulier celles des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 qui définissent et répriment l'injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une religion déterminée, que le débat juridique a fait rage.

A la lumière de la jurisprudence tant française qu'européenne, il est permis de constater que la seule limite à la liberté de conscience réside dans la jouissance d'une autre liberté fondamentale qui est la liberté d’expression, elle-même hautement protégée, et ce y compris dans ses incartades sur le terrain de la religion. 

I. La liberté d’expression, fondement de toute société démocratique

La liberté d’expression est proclamée à l’article 10 de la Convention comme constituant un droit pour toute personne et recouvrant tout à la fois la liberté d’opinion et de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans voir ses propos censurés par les autorités publiques.

La Cour considère en effet que « la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels de pareille société, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10 [...], elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de "société démocratique"[...] » (9) (10).

Ainsi, dans le cadre d’une analyse portant sur la balance de la liberté d’expression et de la liberté de conscience garantie par l’article 9 de la Convention, la Cour a-t-elle pu élever au rang de principe le fait que les croyants se doivent d’accepter et de tolérer que leurs obédiences et croyances religieuses puissent se voir critiquées voire opposées à des croyances leur étant hostiles (11). La liberté de conscience implique alors tant la liberté de croire, que de ne pas croire ou de croire autrement et, donc, d’exprimer conséquemment ses croyances et opinions par opposition à celles des autres. 

Néanmoins, à l’instar de toute liberté dont l’étendue ne peut se concevoir que par la définition de ses limites, la liberté d’expression n’est pas exempte de devoirs et de responsabilités consubstantielles à son exercice. 

II. La liberté d’expression contrainte par le respect du sentiment religieux 

L’article 10-2 de la Convention dispose que, pour des raisons tenant tout à la fois à la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou encore à la protection de la morale, la liberté d’expression peut se voir encadrée dans le respect d’un strict critère de nécessité. Sur la base de ces dispositions tendant à la protection des droits d’autrui, la Cour a développé une jurisprudence incluant dans ceux-ci une prise en considération et une protection du sentiment religieux.

Ainsi, dans sa décision Kokkinakis portant sur la conciliation de religions coexistant au sein d’un même Etat, la Cour a jugé que celui-ci disposait d’une marge de manœuvre pour estimer les situations et comportements nécessitant d’être réprimés afin d’assurer la protection de la liberté de conscience face à une liberté d’expression trop débridée. Dans ce cadre, elle a considéré que constituaient ce type de comportements la communication d’informations et d’idées jugées excessives et, de ce fait, incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui.

La juridiction européenne a été amenée à se prononcer sur des cas d’atteintes portées à la religion par des comportements qui furent considérés comme "blasphématoires". En effet, précurseur de la Cour, la Commission Européenne des Droits de l’Homme a été la première, en 1982, à admettre la possibilité d’une répression pour blasphème sans que celle-ci ne soit contraire à la liberté d’expression. Elle considérait à cet égard que "le fait d'ériger le blasphème en infraction pénale ne suscite en soi aucun doute quant à sa nécessité : si l'on admet que les sentiments religieux du citoyen méritent protection contre les attaques jugées indécentes sur des questions que l'intéressé estime sacrées, on peut alors également juger nécessaire, dans une société démocratique, de stipuler que ces attaques, lorsqu'elles atteignent une certaine gravité, constituent une infraction pénale dont la personne offensée peut saisir le juge" (12).

Partant de cette reconnaissance du blasphème comme pouvant constituer une véritable infraction, la Cour a développé une jurisprudence casuistique (13) venant préciser les conditions dans lesquelles une telle limite à la liberté d’expression est acceptable au regard de l’importance reconnue à la liberté de conscience et au sentiment religieux en découlant. Deux exemples topiques peuvent être évoqués.

Dans un arrêt Otto-Preminger c. Autriche, la Cour a admis la possibilité pour un Etat de censurer une œuvre audiovisuelle jugée offensante par une obédience spécifiquement visée par celle-ci (14). Il s’agissait, en l’espèce, du film "Le Concile d’amour" caricaturant les représentations figuratives de la foi chrétienne en les mettant en scène dans des situations jugées blasphématoires par le diocèse local. Ce film avait été interdit par les autorités autrichiennes pour "dénigrement d’une doctrine religieuse", infraction prévue dans le code pénal autrichien, ce que la Cour a jugé comme relevant de la libre appréciation de l’Etat dès lors que les limitations apportées à la liberté d’expression étaient prévues par la loi, inscrites dans la poursuite d’un but légitime et strictement nécessaires et proportionnées au regard du but recherché. Allant plus loin encore, la Cour a même reconnu à l’Etat une responsabilité pour défaut d’intervention suivant la gravité des oppositions ou dénégations auxquelles seraient confrontées les croyances et doctrines religieuses. Il s'agit ici de la fameuse obligation positive de protection de la liberté de religion évoquée plus avant dans cette note.

Un tel argumentaire a été confirmé par la suite dans un arrêt Wingrove c. Royaume-Uni (15) dans lequel la Cour laisse une grande marge d’appréciation à l’Etat dans la mesure où la liberté d’expression porte sur des questions susceptibles d’offenser des convictions religieuses intimes. Cette grande liberté laissée aux Etats, la Cour la justifie par les variations existant dans le temps et l’espace eu égard à l'appréciation dont différentes personnes d’obédiences distinctes peuvent se sentir ou non offensées par l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion à l’égard de leurs croyances.

C’est sur la base de ce postulat que se comprennent les divergences constatées entre les Etats européens sur la façon d’appréhender juridiquement et, le cas échéant, de sanctionner pénalement, les propos critiques voire provocateurs pouvant affecter le sentiment religieux. Ainsi, les délits de blasphème et de diffamation blasphématoire se retrouvent dans les législations en vigueur dans des Etats où la religion et l’Eglise occupent une place prépondérante. A l’inverse, le caractère éminemment laïc de la France explique que de telles infractions n’aient pas été consacrées en droit positif (16).

En tout état de cause, il est à noter que ce courant jurisprudentiel européen tend à se tarir voire à s’inverser à mesure que des voix s’élèvent en faveur d’une liberté d’expression, selon eux incompatible par nature avec l’existence d’incriminations portant sur des propos blasphématoires. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a énoncé dans une recommandation de 2007 (17) qu' "en ce qui concerne le blasphème, les insultes à caractère religieux et les discours de haine contre des personnes au motif de leur religion, il incombe à l'Etat de déterminer ce qui est à considérer comme infraction pénale dans les limites imposées par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme. A cet égard, l'Assemblée considère que le blasphème, en tant qu'insulte à une religion, ne devrait pas être érigé en infraction pénale. Il convient, en effet, de distinguer les questions relevant de la conscience morale et celles relevant de la légalité, celles relevant de la sphère publique de celles relevant de la sphère privée. Même si, de nos jours, les poursuites à ce titre sont rares dans les Etats membres, elles sont encore légion dans d'autres pays du monde."
 

Postérieurement à cette recommandation, la Cour européenne semble avoir légèrement infléchie sa jurisprudence en évoquant désormais "une marge d'appréciation « élargie » lorsqu’est en cause la liberté d’expression dans des domaines susceptibles d’offenser des convictions personnelles intimes relevant de la morale ou de la religion", alors qu'elle évoquait auparavant "une certaine marge d'appréciation" (18).

Pour autant, la protection du sentiment religieux demeure une préoccupation essentielle qui est gouvernée par des critères objectifs afin d'assurer sa cohabitation avec la liberté d'expression. 

III.     Le défaut de gratuité des propos tenus et leur participation à un débat d’intérêt général, critère de conciliation ?

Face aux divergences existant quant à la reconnaissance du blasphème comme limite à la liberté d’expression, la jurisprudence européenne a recours à d'autres critères plus consensuels en ce qu’ils reposent sur une appréciation plus objective de la nature des propos et écrits faisant griefs.

Déjà en 1993, la CEDH évoquait ces critères dans son arrêt Otto-Preminger en indiquant que "[...] dans le contexte des opinions et croyances religieuses -peut légitimement être comprise une obligation d’éviter autant que faire se peut, des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain [...]" (19).

Ainsi, la Cour relevait comme axe d’analyse de propos ou écrits qui lui étaient déférés leur contribution au débat public, leur intérêt pour le progrès dans les affaires du genre humain et donc leur défaut de toute gratuité.

Ces critères sont d’autant plus intéressants qu’ils peuvent tout à la fois s’appliquer pour évaluer l’exercice de la liberté d’expression "à l’encontre" d’une obédience religieuse que l’usage de celle-ci par des croyants dont la teneur du discours pourrait prêter à discussion.

C’est ce qui a été jugé dans l’affaire Gündüz c. Turquie (20) faisant suite à la condamnation d’un chef de "secte" pour incitation du peuple à la haine et à l’hostilité pour des propos formulés lors d’une émission de télévision. Paradoxalement dans cette affaire, la Cour a conclu à la violation de l’article 10 de la Convention en faveur d'un requérant dont les propos avaient été qualifiés de discours de haine par les juridictions turques (21).

La Cour analyse l'intervention du requérant dans un débat télévisuel en direct comme s’intégrant dans le cadre de la participation à une discussion d’intérêt général et estime que le simple fait de défendre la Charia, sans en appeler à la violence pour l’établir, ne saurait passer pour un "discours de haine" (22).

A l’échelle nationale, c’est suivant un raisonnement assez proche que les juges raisonnent pour concilier liberté d’expression et sentiment religieux, dans le respect de la tradition laïque française.

En effet, la justice française s'est prononcée à l’occasion de l’affaire des caricatures deMahomet publiées par Charlie Hebdo le 8 février 2006 en réaction aux poursuites intentées contre des caricaturistes danois pour les mêmes faits. Pour juger ces faits, les juges français se sont fondés sur la loi du 29 juillet 1881 définissant l’injure et sur la conception européenne de la liberté d’expression et de religion en rappelant les dispositions de l’article 10 de la Convention. Il ont précisé également les spécificités de la France, société laïque et pluraliste, dans lequel "le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ; qu’il résulte de ces considérations que des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression si celle-ci se manifeste de façon gratuitement offensante pour autrui, sans contribuer à une quelconque forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain." (23)

Cette décision consacre donc la jurisprudence européenne en reprenant à son compte l'équilibre souhaitée par cette dernière au regard des libertés de religion et d'expression.

Au final, les juges de première instance et ceux de la Cour d'appel de Paris ont considéré qu'aucune des caricatures n'était offensante pour "la communauté musulmane dans son ensemble".

Jugeant in concreto, les magistrats ont estimé qu'"en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de cette publication dans le journal "CHARLIE HEBDO" apparaissent exclusifs de toute volonté d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans". La Cour d'appel a, en particulier, souligné que l'ensemble du contenu du journal portait un regard critique sur certains membres qui, au nom de l'Islam, pratiquent des actes terroristes à répétition et que cela participait au débat d'intérêt général suscité par la diffusion de ces caricatures dans le journal danois qui était à leur origine (24).

Cette décision est susceptible d'appréciations diverses, en particulier s'agissant d'une des caricatures représentant le prophète portant un turban en forme de bombe avec la profession de foi musulmane inscrite sur cette bombe. Le Tribunal a été obligé de reconnaître que cette caricature "laisse clairement entendre que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane". Il a même ajouté que "si par sa portée, ce dessin, apparaît en soi et pris isolément, de nature à outrager l'ensemble des adeptes de cette foi et à les atteindre dans leur considération à raison de leur obédience, en ce qu'il les assimile - sans distinction ni nuance - à des fidèles d'un enseignement de terreur, il ne saurait être apprécié, au regard de la loi pénale, indépendamment du contexte de sa publication".

Pour aboutir néanmoins à une relaxe, les juges de première instance ont dû avoir recours à des circonvolutions parfois contradictoires en concluant que cela participait à un débat d'intérêt général sur les dérives de certains tenants d'un islam intégriste et qu'il n'y avait donc pas de volonté d'offenser les musulmans dans leur ensemble.

On retiendra donc que le contexte de la publication est important, et que l'appréciation de propos supposés outrageants n'est pas isolée mais fonction d'éléments extérieurs ainsi que du contenu global du journal litigieux.

En outre, les auteurs de caricature et de propos satiriques jouissent d'une vaste liberté d'expression.

Pour autant, cette liberté est très loin d'être absolue et on peut légitiment regretter qu'une expression de prime abord aussi offensante que "Le Coran c'est de la merde, ça n'arrête pas les balles", n'ait pas pu faire l'objet d'un jugement car il est probable que de tels propos aient pu être considérés comme injurieux. 

François JACQUOT 
Avocat au Barreau de Paris 

(1) Le délit de blasphème se caractérise par une protection pénale accordée aux croyances et dogmes d'une religion contre un discours irrévérencieux. L'article 166 du code pénal d'Alsace Moselle réprime "celui quia causé un scandale en blasphémant contre Dieu par des propos outrageants". Le blasphème est défini parle dictionnaire Larousse comme "une parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré".

(2) Clément Benelbaz : "Le principe de laïcité en droit public français", p.112.

(3) Annales de la Chambre des députés, séance du 3 juillet 1905, p.1238.

(4) "Le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat défini par la jurisprudence de la Cour est incompatible avec tout pouvoir de la part de l’Etat d’apprécier la légitimité des croyances religieuses" (voir Eglise Métropolitaine de Bessarabie, précité, paragraphes 118 et 123, et Hasan et Chaush c. Bulgarie [GC],n° 30985/96, paragraphe 62, CEDH 2000-XI)".

(5) "Toutefois, le rôle des autorités n'est pas d'enrayer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais de s'assurer que des groupes opposés l'un à l'autre se tolèrent (Serif c. Grèce, no 38178/97, § 53, CEDH 1999-IX). Ce rôle de l'Etat contribue à assurer l'ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique" (Voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 91, CEDH 2003-II)

(6) "Eu égard à ces circonstances, la Cour estime que, par leur inactivité, les autorités compétentes ont manqué à leur obligation de prendre les mesures propres à assurer que le groupe d'extrémistes orthodoxes dirigé par le père Basile tolère l'existence de la communauté religieuse des requérants et permette à ceux-ci d'exercer librement leur droit à la liberté de religion". (Voir, Membres de la congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et autres c. Géorgie, 3 mai 2007, n°71156/01).

(7) DC 248 du 17 janvier 1989 et DC 260 du 28 juillet 1989.

(8) Cass, 1ère civ, 29 octobre 1990, D1992, somm, p.72; TGI de Paris, Ord réf, 20 février 1997, Les petitesaffiches, 24 février 1997, n°24, p.10-15.

(9) CEDH, 7 déc. 1976 – Handyside c/ Royaume-Uni, n° 5493/72, Série A n° 24.

(10) CAPITANI A et MORITZ M., « La liberté de caricature et ses limites en matière religieuse », Lamy Droit de l’immatériel, mars 2006, pp. 75-82.

(11) CEDH, 25 mai 1993 – Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, Série A n° 260-A.

(12) Com. EDH, 7 mai 1982, Gay News et Lemon c. Royaume-Uni (1983) 5 E.H.R.R. 123.

(13) Ex. CEDH, 13 septembre 2005, I.A. c. Turquie (condamnation d’un éditeur turc pour avoir injurié par voie de publication « Dieu, la Religion, le Prophète et le Livre sacré »).

(14) CEDH, 23 juin 1993, Otto-Preminger c. Autriche, n° 13470/87, Série A n° 295-A.

(15) CEDH, 25 novembre 1996, Wingrove c. Royaume-Uni, n° 17419/90, Recueil 1996-V.

(16) Dans sa décision du 22 mars 2007 consacrée aux caricatures de Charlie Hebdo publiées en 2006, le TGI de Paris rappelle "que le délit de blasphème, qui outrage la divinité et la religion, n'y est pas réprimé, à la différence de l'injure, dès lors qu'elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes à raison de leur appartenance religieuse". TGI Paris, 22 mars 2007, RG n°0621308076.

(17) Conseil de l'Europe, Recommandation 1805, §4.

(18) CEDH, Kutlular c. Turquie, 73715/01, 29 avril 2008, §.45

(19) CAPITANI A et MORITZ M., op. cit.

(20) CEDH, 4 décembre 2003, Gündüz c. Turquie (n° 1), n° 35071/97, Recueil des arrêts et décisions 2003-XI.

(21) Ce requérant avait notamment déclaré : « (...) si [une] personne passe sa nuit de noces après que son mariage a été célébré par un agent de la mairie habilité par la République de Turquie, l'enfant qui naîtra de cette union sera un piç (...) ». En turc, le terme « piç » désigne péjorativement les enfants nés hors mariage et/ou nés d'un adultère et son usage dans la langue courante constitue une insulte visant à outrager la personne concernée.

(22) "L'émission en question était consacrée à la présentation d'une secte dont les adeptes attiraient l'attention du grand public. M. Gündüz, considéré comme le dirigeant de celle-ci et dont les idées sont déjà bien connues du public, y était invité dans un but précis, à savoir la présentation de sa secte et de ses idées non conformistes, notamment au sujet de l'incompatibilité de sa conception de l'islam avec les valeurs démocratiques. Ce thème était largement débattu dans les médias turcs et concernait un problème d'intérêt général, domaine dans lequel les restrictions à la liberté d'expression appellent une interprétation étroite".-"l'émission télévisée avait pour but de présenter la secte dont le requérant fut le dirigeant ; ensuite, les idées extrémistes de ce dernier étaient déjà connues et avaient été débattues par le public et notamment contrebalancées par l'intervention des autres participants au cours de l'émission en question ; enfin, elles ont été exprimées dans le cadre d'un débat pluraliste auquel l'intéressé participait activement". CEDH, 4décembre 2003, Gündüz c. Turquie (n° 1), n° 35071/97,§51

(23) T. corr. Paris, 17e ch., 22 mars 2007.

(24) CA Paris, 11ème chambre A, 12 mars 2008, RG n°07/02873


François Jacquot
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