Le 18 décembre 2014, EIFRF a organisée une conférence intitulée "Laicité et liberté de croyance, quel avenir pour la spécificité française ?", au Club de l'Assemblée à Paris.
Une cinquantaine de personnes étaient présentes, responsables religieux, journalistes du fait religieux, ambassadeurs, avocats ou simples curieux.
Accueillant les intervenants, Eric Roux, président d'EIFRF, a présenté la conférence en rappelant : "La laïcité est un thème récurrent plein de tension, et on ne sait pas si la laïcité aujourd'hui est synonyme de liberté de croyance, ou si ce sont des soeurs ennemies éternellement irréconciliables."
Il a ensuite donné la parole au modérateur du premier panel, le docteur en droit, avocat et sociologue des religions Dominique Kounkou, lui-même membre du comité d'orientation d'EIFRF. Ce dernier a commencé par rendre hommage à Emile Poulat, décédé le 22 novembre dernier : "Je voudrais rendre hommage à un grand professeur qui nous a quitté très récemment, Emile Poulat, qui était là au moment où tout le monde avait peur de s'afficher quand il s'agissait de parler de liberté religieuse, et je me rappelle que le premier colloque que nous avions organisé sur les discriminations religieuses en France, c'est lui qui l'avait présidé. Emile Poulat a beaucoup écrit sur la laïcité. Souvent les grands chercheurs écrivent, mais ne s'engagent pas. Lui a fait les deux."
Après avoir présenté les conférenciers, Dominique a donné la parole à Vincent Berger, ancien Jurisconsulte de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à laquelle il a participé pendant trente-cinq ans, avant de récemment endosser la robe de l'avocat. Vincent Berger a fait un tour d'horizon de la jurisprudence européenne en matière de liberté religieuse, avant de conclure par ces mots : "La Cour Européenne des Droits de l'Homme a toujours veillé à ce qu'il y ait un équilibre, une neutralité, presque bienveillante de l'Etat, vis à vis des communautés religieuses, tout en admettant que des états aient des religions d'Etat, des Eglises d'Etat, et même que des états soient liés par des concordats avec le Saint-siège, qui vont lui donner certains avantages dont ne vont pas bénéficier d'autres communautés religieuses. Il y a donc toute cette diversité européenne qui va être respectée par la Cour."
Guillaume Déderen, Maitre des requêtes au Conseil d'Etat, a ensuite développé le concept de laïcité tel qu'il est conçu par le législateur et interprété par le Conseil d'Etat. Dans le début de son exposé, Guillaume Déderen explique : "La laïcité est une notion qu'il est périlleux de manier, c'est que que disait Jean Ribero : "le mot sent encore la poudre". Evidemment il faisait allusion à une époque où la laïcité était, comme on a pu l'écrire pour la sociologie, un "sport de combat". Le 4 mai 1877, pour nous cela parait très loin, Gambetta montait à la tribune pour s'écrier "le cléricalisme, voilà l'ennemi !". Alors on croyait les passions qui avaient accompagné l'émergence de la laïcité apaisées avec le temps, mais finalement elles résonnent toujours aussi vivement dans la sphère publique. On peut toujours s'étonner de ces passions. On s'en étonnerait moins si on se rappelait comme le fait Jean Baubérot, que la laïcité en France est issu du choc de quatre ingrédients. Le premier : le combat du Roi contre le pouvoir ecclésiastique. Le second : la dissociation en rupture avec le fameux principe latin "cujus regio ejus religio", c'est à dire la dissociation entre l'appartenance nationale et l'appartenance religieuse, depuis l'Edit de Nantes en 1598. Troisièmement, l'impossibilité d'un pluralisme religieux qui soit pacifique, et quatrièmement la critique des dogmes avec la philosophie des Lumières. Bref, la laïcité se trouve prise dans une queue de comète d'affrontements permanents entre le pouvoir séculier et la sphère religieuse."
Puis, pour conclure sur les voies de "solutions" aux tensions nées d'une laïcité exacerbée ou mal comprise : "Il y a deux voies qui mériteraient d'être plus explorées qu'elles ne le sont actuellement. La première serait celle de la concertation entre les pouvoirs publics et les communautés religieuses, chacun devant prendre sa part dans la résolution des problèmes, en travaillant dans un esprit d'ouverture et de dialogue. La deuxième, c'est l'importance des instruments de ce qu'on appelle le droit souple…"
Après une demi-heure de questions-réponses avec la salle, le deuxième panel, modéré par Eric Roux, a commencé.
Sophie Gherardi, journaliste et directrice de fait-religieux.com, a rappelé : "Il faut constamment lutter, y compris chez des gens de bonne volonté comme nous sommes, pour ne pas mettre d'huile sur le feu, car même parfois sans le faire exprès, on peut contribuer à mettre de l'huile sur le feu. Donc il faut constamment faire très attention à la façon dont on traite les sujets. (…) Les musulmans sont là et ils font partie de la France. Une laïcité qui cacherait une détestation ou une peur de l'Islam, eh bien comment veut-on qu'une partie de notre jeunesse, car l'Islam est très jeune, s'identifie au pacte laïc qui fait partie de l'héritages importants de notre république, s'ils considèrent qu'elle est en fait une machine de guerre contre eux. C'est un grave problème.(…) Il y a quelque chose en France, justement dans notre tradition catholique très unitaire, qui fait que nous ne sommes pas du tout à l'aise, d'abord avec la multiplicité protestante, qui est celle que nous avons découverte en premier. La façon qu'ont les protestants à se diviser entre eux en de plus en plus de religions jusqu'à apparaitre comme des sectes, a mis la France catholique mal à l'aise depuis longtemps. Et quand en plus, le protestantisme et ses différentes variantes sont revenues sous la forme américaine, alors là, ça ne va plus du tout. Les religions qui sont considérées comme des importations américaines heurtent un sentiment profond en France, ce qui fait que le mormonisme ou la scientologie sont regardés avec plus de méfiance que par exemple le bouddhisme. Mais le droit n'a rien à dire là-dessus, même si il y a des cas où le juge est peut-être plus sévère avec ces formes de religion…"
Le dernier intervenant, Asif Arif, avocat, chargé d'enseignement à l'Université Paris-Dauphine et directeur du site d'information culture-et-croyance.com, a partagé sa vision de ce que pourrait être une laïcité d'avenir, une post-laïcité inclusive et adaptée à la société française d'aujourd'hui, tout en respectant les principes de la loi de 1905. Il a dit notamment : "Si il y a une question véritablement de violence via une obligation de porter le voile, la problématique ne doit pas être résolue à travers les questions de laïcité. Elle doit être résolue à travers des questions pénales. On n'arrête pas de confondre laïcité et problématiques de foyer familial, problématiques conjugales, mais ça n'a rien à voir. (…) La laïcité j'y crois, mais je pense qu'aujourd'hui, nous ne sommes plus dans la laïcité au sens de 1905, mais dans une post-laïcité. Il ne s'agit pas de remettre en cause les fondements de la loi de 1905, ni de se brouiller avec cette loi républicaine qui est centrale pour tous les français, mais cette idée de post-laïcité voudrait dire qu'il faut revoir la notion de laïcité avec le paysage religieux d'aujourd'hui en France."